L’Histoire des systèmes carcéraux dans la zone océan Indien constitue une mine de savoir sur “le fonctionnement de l’esclavage dans la société esclavagiste”. Elle est est au centre des attentions de la 4e édition du colloque international organisé par l’association Kartyé Lib Mémoire & Patrimoine Océan Indien présidée par Marie-Lyne Champigneul. Ce colloque se tient du 6 au 8 octobre à l’auditorium de la médiathèque de Saint-André.
L’association Kartyé Lib Mémoire & Patrimoine Océan Indien poursuit son combat pour la sauvegarde de l’ancienne prison Juliette Dodu. “Soyons francs, d’un point de vue institutionnel, c’est au point mort”, lance l’historien Prosper Eve mais le devoir de mémoire et la recherche sur l’Histoire des anciens esclaves et engagés emprisonnés, elle, avance. “Ce lieu mérite un peu plus” Le site de l’ancienne prison de Saint-Denis est aujourd’hui inscrit dans les sites de mémoire associé au projet “les Routes des personnes mises en esclavage”. Docteur Ali Mousaye, écrivain, chercheur, ancien chef du département Histoire et mémoire pour le dialogue à l’UNESCO, qui a travaillé sur le projet de l’UNESCO désormais nommé “les Routes des personnes mises en esclavage” précise : “à l’époque, nous avons soutenu le dossier pour que cette prison soit inscrite dans les itinéraires de“la route de l’esclave”, parce qu’on pensait que c’est un lieu de mémoire très important pour réfléchir sur l’enfermement colonial et esclavagiste . C’est dans les itinéraires. Je pense que ce lieu mérite un peu plus. Il pourrait être parmi les sites de conscience. Pour l’inscrire en tant que patrimoine mondial de l’Unesco, c’est un peu plus compliqué, il faut parvenir à montrer en quoi il a une valeur exceptionnelle. Une prison pour “les grands crimes” L’Histoire des anciens esclaves et engagés emprisonnés à Juliette Dodu est peu connue mais elle éclaire pourtant sur un pan de l’Histoire de l’île et de l’esclavage. Ouverte en 1718, la prison renfermait des prisonniers-esclaves. “Il ne faut pas oublier que les plantations sont les premières grandes prisons du système colonial. Le système a eu besoin, pour punir, d’avoir aussi des forts, des murs, des chaînes pour continuer l’enfermement”, indique le docteur Ali Mousaye. Du temps de l’esclavage, “il y a deux types de justice”. Le maître exerçait un droit de justice sur les petits vols etc. “Sur toutes les grandes habitations, il y avait déjà une prison. Le maître mettait au fer les esclaves qui avaient commis des fautes”. Lorsqu’il y avait de la grande criminalité, meurtre, vol à main armé etc, il y avait la prison d’Etat. “Ça montre que la population carcérale ne pouvait pas être très nombreuse au départ. Les gens qui sont emprisonnés sont des gens qui ont commis un acte de grande criminalité”, décrit Prosper Eve, professeur émérite d’histoire moderne et membre du comité scientifique pour la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage.
Les esclaves-prisonniers “construisaient des routes” Les esclaves emprisonnés continuaient à travailler sur les chantiers publics. “Ici, ils étaient chargés de la réflexion des chaussées, de la construction des routes, de bâtiments. S’ils ne travaillaient pas, ils ne mangeaient pas. Le travail continuait sous la direction de gardes mais ce n’était pas un espace ou l’on allait s’asseoir”, conte Prosper Eve. Évasions permanentes ! Et comme ils travaillaient sur des chantiers publics… tout le temps y’avait des évasions !, nous apprend le professeur : “Au XVIIIème, il y a des scènes de désordre à l’intérieur [de la prison] mais les évasions étaient permanentes. Ils partaient. Certains surveillants perdaient d’ailleurs leur poste parce qu’ils n’arrivaient pas à assurer l’ordre. Les évasions étaient très nombreuses, mais souvent on arrivait à les rattraper. Il y avait des condamnés pour des crimes un peu crapuleux. Lorsque ces prisonniers-là s’évadaient, la population prenait peur et ils passaient à la postérité”.
Des archives ont fini en cornets dans le marché de Saint-Denis Les archives judiciaires nous apprennent beaucoup sur le fonctionnement de l’esclavage dans la société esclavagiste, comme le dit Prosper Eve dans son livre intitulé Le bruit du silence, “c’est une mine de renseignements sur ce qui se passait dans l’habitation et la complexité de l’esclavage”. La série judiciaire, sur bien des aspects, est la source la plus riche pour connaître la vie des esclaves. “Lorsqu’un crime est commis, il y a forcément une enquête. Le maître parle, les esclaves parlent, le prisonnier est aussi interrogé. Même ce qui est dit n’est pas forcément vrai, ce qui est important c’est le raisonnement qui est mis en place pour essayer de se disculper”, explique Prosper Eve. Pour en savoir plus sur les conditions de vie des détenus, les chercheurs ont ainsi puisé dans les archives mais ont aussi constaté des pertes considérables sur l’époque coloniale. Au début, les archives étaient centralisées au gouvernement local, la préfecture. Les archives sont alors empilées dans une salle qui sert aussi de magasin colonial. Au fur et à mesure, les registres s’empilent et le gouverneur nomme, au 19e siècle, des commissions pour faire de la place. “Quand ces commissions vont se réunir, elles vont s’acharner sur les documents concernant l’esclavage et surtout les registres de marronage. C’est une question qui a vraiment été victime de ces commissions mises en place pour faire de la place. Il est donc difficile d’avoir des chiffres sur le marronnage dans la mesure où il reste des bribes”, regrette l’historien. Les archives sont ensuite entreposées à l’actuelle bibliothèque départementale dans une salle. “Comme elle était plus ou moins ouverte, les gens pouvaient aller fouiller là-dedans. C’est un archiviste, André Scherer, qui le dit, dans le marché de Saint-Denis, les cornets étaient faits en papier à partir des documents d’archives. Le souci de la conservation n’a pas été au rendez-vous et beaucoup de documents ont été perdus”, déplore-t-il avant de poursuivre : “c’est vraiment dans les années 1960 que les archivistes ont mené un travail de sauvetage de cette documentation”.
L’histoire des systèmes carcéraux (4e édition) “Les conditions de détention (hommes, femmes et enfants) dans la zone océan Indien” Ce travail de recherche est récent. “Les colloques sont là pour prouver qu’il faut approfondir. L’histoire de cette zone n’est pas vraiment connue ailleurs. Quand on parle de l’Histoire en général, on oublie de parler de cet espace, c’est pourquoi il faut multiplier les travaux, peut-être qu’à force les chercheurs porteront leur regard sur cette zone qui a une histoire riche et qui a beaucoup apporté à l’histoire de l’humanité”. Durant quatre jours, l’association Kartyé Lib Mémoire & Patrimoine Océan Indien organise ainsi un colloque international intitulé : L’histoire des systèmes carcéraux (4e édition) ” Les conditions de détention (hommes, femmes et enfants) dans la zone océan Indien ” (XVIe – XXe siècles). Maîtres de conférences, chercheurs, historiens, et professeurs d’université de La Réunion et d’ailleurs, animeront des conférences autour de l’histoire et des conditions d’incarcération dans la zone océan Indien dans l’Histoire. Ce colloque, qui s’ouvre ce jeudi à l’auditorium de la Médiathèque Auguste Lacaussade avec l’installation du Buste Alphonse de Lamartine à Saint-André, s’inscrit dans un devoir de protection et de “valorisation mémorielle de ce patrimoine”. “Cette histoire, elle appartient à tous les Réunionnais. C’est l’un des témoins de l’Histoire de tous les Réunionnais”, conclut Marie-Lyne Champigneul, présidente de l’association.
www.zinfos974.com