Vidéo – La tradition du moringué de retour à Saint-Louis après des années d’absence

Depuis 2017, plus aucun moringué n’avait été organisé à Saint-Louis. Le week-end du 23 et 24 avril, ce combat traditionnel à mains nues s’est joué dans la cité Prétoria. Des échanges de coups qui peuvent surprendre, ceux-ci étant davantage perçus comme des combats clandestins. C’est une tradition à chaque ramadan, rappelle Windame, l’un des organisateurs. Hérité de Madagascar, le moraingy mais aussi moringue ou moringué s’est diffusé dans la plupart des iles de l’océan Indien et s’est réinventé en fonction des territoires.

Des centaines de personnes sont rassemblées au cœur de la cité autour d’un rond. D’autres assistent au spectacle depuis les étages des immeubles qui bordent l’esplanade de la Cité Prétoria. La musique traditionnelle fait vivre la scène. Fin avril, le moringué a fait son grand retour dans la ville de Saint-Louis.  Deux jeunes hommes s’avancent, se toisent du regard en position de garde et les premiers coups de poings sont échangés. Deux arbitres veillent au respect des règles. Au bout de deux ou trois rounds, le combat s’arrête, le vainqueur entame une petite danse, les deux adversaires se donnent l’accolade et deux autres combattants entrent dans le rond. “Ça peut paraitre violent mais c’est un jeu entre nous. Seuls les coups avec les mains sont autorisés juste pour toucher. S’il se passe n’importe quoi, les arbitres nous séparent”, explique Windame. Le jeune homme de 25 ans réside dans le quartier depuis son enfance. Jusqu’en 2017, des moringués étaient régulièrement organisés, “en général pendant le mois du ramadan”. Puis peu à peu, “ça a été considéré comme des violences et le coronavirus est arrivé”.   

“Ramener l’équilibre dans le quartier” Aujourd’hui, les mesures sanitaires assouplies, les jeunes du quartier ont pris l’initiative d’orchestrer le retour du moringué dans la cité. La cité Prétoria souffre en effet depuis des décennies d’un manque d’activités économiques, sociales et culturelles et attend toujours la mise en œuvre du nouveau programme national de renouvellement urbain.  “Le quartier est délaissé”, estime Windame. Alors “au lieu de voler, taper, vaut mieux faire encadrer”. Le retour du moringué est donc apparu pour les jeunes comme un bon moyen de “ramener l’équilibre dans le quartier” mais aussi “un moment de convivialité”.

“Ce n’est qu’un simple jeu” Adolescents, hommes et femmes peuvent ainsi “rant dann rond” . Pour Windame, “cela permet à chacun de s’exprimer”. Tous peuvent participer.  L’adversaire peut évidemment décliner l’invitation à combattre. Les coups portés occasionnent des blessures généralement légères. Certaines personnes décrivent ainsi le moringué comme une sorte de boxe mahoraise. À la fin de chaque combat improvisé, les deux adversaires ont le devoir de se saluer respectueusement par une poignée de mains ou une accolade. Les arbitres y veillent.”Ce n’est qu’un simple jeu. Je ne vais pas dire qu’il n’y a pas de gros coeur mais tout débordement a été anticipé. Ici c’est un quartier solidaire où les gens sont responsables”, se félicite Windame.  De 21H à 1H lors de l’un des derniers soirs de ramadan par exemple, la cité a ainsi de nouveau vibré au rythme du moringé, une tradition retrouvée toutefois sans autorisation d’occupation du domaine public. Les gendarmes ont, eux, été prévenus à la dernière minute et effectivement, aucun débordement n’a été signalé. Pour les prochaines manifestations, “on va voir la mairie”, assure Windame. Avec les autres jeunes du quartier, il “veut avancer”. La réputation de la cité Prétoria a pour lui changé “depuis quelques années grâce aux habitants du quartier qui ont pris en main leur espace “, s’engage Windame. 

Un héritage commun Jugé trop violente pour certains, source de débordements pour d’autres, la tradition du moringué perdure pourtant à Mayotte. Importées de l’Afrique de l’Est, développées largement à Madagascar, les pratiques de combat traditionnelles se sont diffusées dans les îles de l’océan Indien en même temps que les populations esclaves. Selon l’historienne Évelyne Combeau-Mari, elles se sont adaptées et ont mué en fonction des pressions politiques, sociales et culturelles et du territoire au cours du XXe siècle, que ce soit dans la Grande Ile, à Mayotte, aux Comores ou à La Réunion. Reste tout de même des caractéristiques communes : le rond, le combat à poings nus, la musique, une personne qui met au défi une autre… À la différence du moringué, la variante développée à La Réunion accepte les coups de pied. Le moringue traditionnel qui se pratiquait un peu partout dans l’île dans les camps s’est peu à peu transformé. Dénigré par les élites, le moringue devient, à l’instar du maloya, une revendication de la culture créole dans les années 70. Le combat traditionnel a par la suite été codifié pour s’adapter à tous les publics et a finalement été reconnu comme discipline sportive par le Ministère de la Jeunesse en 1996.   

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